Récit de la Syz Translémanique en solitaire 27-28.08.2016
Celles et ceux qui suivent mes petites aventures lacustres le savent, la Syz translémanique en solitaire est mon grand rendez-vous de la saison, ma régate préférée, celle qui me fait vibrer et surtout celle pour laquelle je me prépare depuis une année. C’est probablement aussi celle qui mérite qu’on l’aborde avec le plus grand sérieux.
La translémanique est un long sprint de plus ou moins 24 heures au cours duquel tout peut arriver, le meilleur comme le pire, le calme extrême ou la tempête.
Le jeudi précédant la course est consacré au carénage, au réglage du mât, à l’équilibrage de l’assiette du bateau, au chargement des voiles et aux petits aménagements qui facilitent la navigation en solitaire.
Après un convoyage au moteur qui m’a permis de bricoler encore un peu, j’arrive à Genève vers 14h00. En attendant de pouvoir confirmer mon inscription, je décide de laisser le moteur sur le ponton afin d’alléger le bateau, vu la météo attendue.
A la cérémonie d’ouverture, nous faisons connaissance avec les 3 ambassadeurs de la course Patrick Girod (Mini transat et multiple champion suisse, etc.) Alan Roura (Mini Transat, transat Jacques Vabre etc.) et Alain Gauthier (Route du Rhum, multiples transat, Vendée Globe, etc) et assistons au briefing météo de Philippe Jeanneret qui nous laisse présager d’une édition longue et peu ventée (Morget en soirée, quelques thermiques de nuit dans le petit lac et peut-être un faible régime de SO en fin de nuit)
Plutôt que d’aller manger avec les copains comme les autres années, je préfère me coucher tôt, réviser mes procédures de manœuvres (depuis des mois je réfléchis, teste, améliore et re-teste des process pour chaque manœuvre visant à les rendre plus efficaces et surtout à limiter au maximum mes déplacements afin de gagner du temps et économiser mon énergie) et me plonger dans la course.
Le réveil sonne a 07h00, petite douche, grand café, gréement du bateau et départ sur le plan d’eau pour observer les airs.
Me voici sur la ligne de départ avec une centaine de copains. Ca plaisante, ça enlève les dernières algues du safran et mine de rien, chacun bosse un peu à se placer.
09 :20 signal d’avertissement, la ligne est courte, tout le monde veut la même place mais l’avantage de la solitaire, c’est qu’il y a beaucoup moins d’agressivité que sur les courses en équipage.
09 :25 préparatoire, ça commence à lofer, nous sommes bord contre bord c’est le bordel !
10 :00 PAN ! Départ ! la mêlée se détend progressivement et nous pouvons commencer à envisager des manœuvres… sauf qu’avancer dans rien ne fait pas avancer bien vite !
« Tankée » en queue de peloton, au centre, après plus de 2h de course durant lesquelles nous avons parcouru 200m, j’aperçois René Mermoud tout aussi « tanké » et me dis que l’avis d’un fin connaisseur n’est pas un luxe en ces temps difficiles. « René ! Faut passer par où ? » Il me fait un signe de la main gauche. Message reçu ! J’abats un peu et une mini risée m’emmène en direction de la côte suisse tandis que mes compagnons de galère restent sur place (René je te dois une bouffe !).
A partir de ce moment, Eole a été mon meilleur ami. Un long bord de spi pointu nous emmène (un petit groupe de tête qui s’est détaché et moi derrière) à Versoix puis des bords de près rasants à la côte jusqu’à mon préféré… celui qui adonne un max en direction de la pointe de Promenthoux. Un dernier recadrage me permet de passer la pointe. Comme les airs ont l’air de se poser un peu partout, je repars vers le large en fixant ma tolérance à 8 degrés de refus et 0.8kts de vitesse. Le bord sur lequel je me trouve est stable, voire légèrement adonnant et ma vitesse de 5kts de moyenne me convient. Je me retrouve assez vite à mi-lac puis proche de Thonon avec des Grand Surprise et des Luthi 870.
En tentant de regarder le suivi de course sur mon téléphone, je me fais dépasser par le seul Surprise qui navigue avec moi. Je remise le suivi de course aux oubliettes et me concentre sur ce que je sais faire : faire du près.
Pour une fois, détendue et sereine, je peux me concentrer l’assiette du bateau. En m’avançant, je gagne 0.2kts. Je change de position même si elle est moins confortable. Il me reste même du temps pour penser à manger et à boire (et croyez-moi, c’est beaucoup moins facile que ça en a l’air !).
Arrivant près de Thonon, Le Surprise qui m’a rattrapé vire et repart au large. Contrairement à lui, je considère que je n’ai pas fait toute cette route pour ne pas aller chercher une adonnante à la côte. Bien m’en prend puisque je gagne 20 degrés de cap. Je vire et ressors de Thonon avec 20 degrés supplémentaires Si bien que je pointe en direction de Cully et peux ouvrir un peu mon allure.
Ce pari de transiter sur Thonon est risqué et si les airs « calent » à mi-lac, je suis mal… très mal. Je croise les Psaros et autres Luthi F10 et JPK qui sont sur le chemin du retour avec de jolis airs, ce qui me réconforte un peu.
Vers 18 :00, je profite de ce bord interminable pour enfiler des habits plus chauds pour la nuit, grignoter quelque chose, remettre des bouteilles d’eau à poste et tourner le spi qui est installé du mauvais côté. C’est à ce moment que je réalise que pour la première fois de ma vie de régatière j’aborde la course avec 1 coup d’avance. Arrivée à Lutry les airs tournent à droite et me permettent de passer la bouée toujours sur ce même bord tribord.
Je vire au passage de la bouée, abats et me prépare à envoyer le spi comme l’a fait Alain Fallot sur Escape, 5 minutes avant moi. Tangoner, bloquer le hale-bas, brasser, choquer la GV, envoyer, rouler le génois… au demeurant rien de compliqué. Mais c’était sans compter sur la Vaudaire qui a choisi ce moment précis pour débouler sur moi ! A l’envoi du spi, le hale-bas s’enroule autour du bras de spi, se coince dans le barber et se choque tout seul, le tangon mâte et tape contre les barres de flèche, le spi en vrac et trop haut pour que je l’atrappe bat à tout rompre, le génois se déroule et se met à battre pour ajouter du tragique à la situation. Je lève les yeux et vois qu’en effet ça moutonne de partout ! J’affalle le spi avec difficulté et cherche l’écoute de génois pour le border mais sans succès. Elle a filé dans le roller et bat avec le génois. Seule solution, virer, remettre l’écoute en place et reprendre ma route… sauf que ça veut pas virer !!! Je dois m’y reprendre à 2 fois pour y arriver. Ce gros cafouillage s’est passé à proximité d’un bateau comité et avec des bateaux qui arrivaient en sens inverse et qu’il fallait éviter, mais un moment de honte est vite oublié… Une fois la situation rétablie, je reprends ma route, toute tremblante, à 8kts (sous génois et GV) et décide de pointer à mi-lac où les airs semblent moins forts. Je renvoie le spi dès que possible et fais route entre 8 et 9kts en direction d’Yvoire.
Alors que les airs calent près de l’entrée du petit lac, je me rappelle du probable Morget évoqué par Philippe Jeanneret la veille. Je décide de faire un mauvais bord pour me rapprocher de la côte suisse. Je ne le trouve pas mais rencontre une risée de nuit qui me permet de négocier l’entrée dans le petit lac au génois à 6kts. Je ne fais pas la difficile, je la prends et passe d’un rail à l’autre.
Ces risées du petit lac sont sournoises. Elles passent leur temps à t’inciter à lofer alors que pour y rester il faut choquer et abattre.
C’est dans l’un de ces rails que je rejoins Alain Fallot et Escape alors que le bord d’un orage nous arrose un peu et met le feu au ciel, mais sans perturber nos airs. Il reste un dernier pari à prendre : celui que le Sud-Ouest suit l’orage de près.
Tout en se tirant la bourre nous dépassons Velasco (un autre tout bon) qui ne parvient pas à controler 2 bateaux à la fois. Nous parvenons à le dépasser.
Pari gagné, le S-O espéré plus tôt nous atteint juste avant la pointe à la Bise qui, du coup passe comme une lettre à la poste. Nous rasons la côte française surtoilés, partant au lof à l’occasion jusqu’à la bouée d’arrivée située au large de la SNG. Il est autour de 4h du mat. Nicolas (6m50) passe la ligne quelques minutes plus tard.
Alors qu’un zodiac me ramène au port, la gentille dame à son bord m’annonce mon classement (3ème Surprise).
Moi : « si c’est un gag, il est pas drôle ».
Elle : « Non, non, je suis sérieuse, Bravo ! ».
J’ai beaucoup de peine à y croire… malgré quelques confirmations reçues à terre, je ne réalise pas encore ce qui vient de se passer. Par sécurité et un peu fataliste, j’attends la remise des prix pour valider l’info.
Au final je me classe :
1ère femme
3ème surprise
7ème en temps compensé
26ème en temps réel
Ce qui s’est bien passé : J’ai eu de la chance, j’ai eu de bonnes intuitions, j’ai beaucoup anticipé, ma préparation (bateau, physique et mental) était excellente. J’ai fait ma course sans pression et en me concentrant sur mes points forts.
A améliorer : Me dégager plus vite au départ, observer mieux les changements de vent. Des signes auraient dû me mettre la puce à l’oreille à Lutry. Ne pas oublier le lait condensé (le café tout noir, j’aime pas ça !)
UN TOUT GRAND BRAVO AUX 14 AUTRES MEMBRES DU CVL QUI ONT PARTICIPE A LA TRANSLEM' BIG UP A CEUX QUI ONT FINI SUR LE PODIUM !!!
photos : ©David Carlier