En 2017 c’est une petite révolution qui frappe la Syz Translémanique en solitaire. Cette régate déjà fort longue le sera encore plus puisque les organisateurs ont décidé de la rallonger afin de mieux coller à son nom : Translémanique… Le parcours sera donc le suivant : Genève-Villeneuve-Genève. Aucune autre marque à contourner, les options sont totalement ouvertes.
Je fais partie des personnes qui adhèrent instantanément à ce « durcissement » de la course. On entre dans l’extrême, dans le vrai gros défi et dans le dépassement de ses limites… fini de rire, la Translem’ c’est plus une course pour Mickeys !
Si j’ai conscience des difficultés physiques et mentales que va poser ce nouveau parcours, une chose m’inquiète plus : Le Surprise n’étant pas rapide, en cas de pétolle, boucler ce tour de lac en moins de 30 heures relèvera peut-être de l’exploit.
Tant pis, j’y vais… de toute manière pour savoir si c’est possible, il faut essayer !
…Et pas question d’abandonner : je laisse mon moteur sur le ponton de la Nautique !
Mon organisation est désormais réglée comme du papier à musique : carénage, préparation du bateau et avitaillement le jeudi, convoyage le vendredi (un petit tartare en guise de lunch ça passe toujours bien et ça m’énerve juste ce qu’il faut pour être agressive sur le début de la course)… arrivée à Genève vers 14h… je grée le bateau, confirme mon inscription, papote avec les copains, vais au briefing me couche pas trop tard et dors comme un caillou jusqu’au lendemain.
La météo annoncée est plutôt bôf-bôf, pas trop ventée à l’exception de quelques brises en fin de journée, très locales, très variables en direction mais qui pourraient monter assez haut sur l’échelle de Beaufort. Pour rajouter un peu de piquant à ces conditions maussades, de la pluie jusque dans la soirée et du froid durant la nuit !
Me sachant partie pour un bon bout de temps, je ne regarde pas à la dépense sur la tenue… chaussettes de ski, collant et pull thermique, polaire et ciré complet (je garde la doudoune et le bonnet en joker pour la nuit)
Allez c’est parti ! Je manque de me faire couler par un gros avion de chasse de la Nautique qui me fait un refus de tribord caractérisé quelques minutes avant le début de la procédure (l’avait pas dû boire son café ce matin celui-là…) ! Je constate également que cette année, les gens sont plus agressifs sur la ligne… Dans le but de ne pas me faire sortir, je reste un peu en retrait mais du côté favorable quitte à me faire couvrir.
Pan ! Le départ est donné, je suis couverte (comme prévu), je m’accroche pour me dégager de la « baleine à bosse » qui me prive de vent et pour « sortir » le villeneuvois qui menace de me dépasser au vent… ça c’est fait ! Juste devant moi, j’ai CNM barré par Loïc Preitner (un tout bon) à quelques longueurs. Je suis dans le milieu du peloton des Surprise qui ont choisi la France … je cape à peine moins qu’eux afin de gagner en vitesse… ça va pas mal…
C’est à la sortie du petit lac que se joue peut-être la course… Que faut-il faire ? ça cale devant. Les airs sont plus marqués côté français mais les prévisions météo incitent à aller chercher la côte Suisse (qui pour l’instant baigne dans le grand vide) tout le monde est à l’arrêt… Cette option sera décisive, il s’agit de ne pas se tromper…
Je décide de mettre le cap à l’ouest. Direction la Suisse… ça tombe bien les airs se lèvent de ce côté du lac tandis qu’ils ont l’air de caler de l’autre côté… Ca tombe mal, les airs calent aussi là où je me trouve… 1ère fracture du moral… Je joue à saute-risée, essayant tant bien que mal (mais plutôt mal en fait) de ne pas perdre trop de terrain. Le bateau moteur de l’agence MaxComm croise derrière moi… à voir la mine déconfite et compatissante du directeur, je comprends que je suis mal… je jette un coup d’œil derrière moi… je ne vois plus que 2 bateaux… et pas de Surprise… je confirme, je suis très mal…
Alors que les airs sont posés à la côte Suisse et que les petites risées qui me parviennent ne veulent pas m’emmener de ce côté du lac, je dois me résoudre à reprendre la route France.
Je rumine le « courage ! » que m’a adressé Bernard Schopfer quelques minutes auparavant… Je suis au milieu du lac avec Tahoe (mon concurrent le plus direct) qui va plus vite que moi… j’enrage. Pas question de finir derrière lui… j’en fais une affaire personnelle…
Je rejoins la flotte de la côte française juste après Ripaille. J’ai perdu un petit peu de terrain mais pas trop… Il est 14h00 j’ai jusqu’ici mangé 2 bananes… Il est temps d’attaquer cette salade niçoise qui m’inspire bien ! Je cale un réglage et ma barre empoigne la fourchette. A la troisième bouchée je détecte une barre noire au loin. 2 bouchées plus tard, la barre noire est à bout touchant et c’est fort !
Tant pis pour la salade, j’enfourne une dernière grosse bouchée et jette ce qui reste par dessus-bord (elle sera mieux dans le ventre des poissons que renversée au fond du cockpit) !
Ainsi requinquée, faut border le génois et la GV, prendre du pataras et envoyer la sauce ! Ceux qui me croyaient « finie » me connaissent mal, Je pointe sur Villeneuve, mon CUST adore ce temps, moi j’aime bien la gite et un peu moins la pluie qui nous tombe dessus et nous glace. Mais ce petit coup de Vaudaire/Bise m’a redonné la niaque !
Au fur et à mesure que la pluie cesse, le vent diminue et tourne aussi. Je suis devant Meillerie, vent arrière dans des airs très tournants. J’envoie le grand spi. A la croisée de 2 régimes, une bascule par l’avant me fait virer (sous spi, sic) et je me retrouve ave un beau nœud autour de l’étai. J’affale la mort dans l’âme vu que la situation n’est pas récupérable.
Un ou deux concurrents me dépassent mais y’a des jours où on a une bonne étoile et aujourd’hui en est un ! Le vent nous revient du Nord-Est nous affalons tous nos spis et nous sommes à la perpendiculaire de St-Gingolph. Les premiers Surprise ont passé la boule mais on n’est pas loin. La flotte est très groupée. Ils repartent mi-lac à toute vitesse. Nous les imitons 15 minutes plus tard !
Ce que j’aime dans ces longues courses, c’est que tout peut arriver et que rien n’est joué jusqu’à l’arrivée.
Une fois n’est pas coutume, les airs faiblissent par l’avant. Les premiers de ma série font route sur Morges afin d’aller chercher du Morget qui devrait se lever à la tombée de la nuit.
A ce moment, me viennent 2 évidences :
Si je suis ceux qui sont devant moi je n’ai aucune chance de les rejoindre ni de les dépasser.
Il a neigé en montagne. Ceci devrait apporter des masses d’air froid en direction du lac depuis la France.
Je décide de jouer ! De toute manière vu mon classement actuel, que je maintienne ma place ou que je finisse dernière ne change pas grand chose. J’abandonne le contrôle des quelques Surprise qui sont derrière moi et rejoins Jam, Nicolas et quelques autres qui sont sous mon vent… Ces masses d’air jouent avec mes nerfs… ça, va ça vient… Nous croisons un groupe de la flotte qui fait route vers Villeneuve, j’encourage ma copine Rea qui vient de traverser un grain (ce qu’elle redoutait) mais elle ne m’entend pas. Je dois attendre la tombée du jour pour que des airs s’établissent.
Il est temps de sortir doudoune, bonnet et frontale, et d’attraper un petit booster au miel pour me redonner de l’énergie.
Et là, il est temps aussi d’ouvrir une parenthèse pour te dire que s’il y a 2 choses que je sais faire lorsque je navigue, c’est :
Barrer la nuit
Revenir d’entre les morts
… et c’est ce que je fais !!! Mon CUST glisse dans les risées je suis à 100m de la côte, j’y vois pas grand chose sur mes concurrents parce que les lumières d’Evian m’aveuglent un peu… Je vise la pointe devant moi, jusqu’à la raser… et là… 2ème fracture du moral quand je me souviens qu’après Evian il y a la pointe de Ripaille à passer avant celle d’Yvoire…
Je suis gelée. Je n’ai plus de café. Je tremble tellement que je bloque ma barre et renonce à barrer pour ne pas transmettre mes spasmes au safran… je file dans la cabine chercher toutes les couches que je peux enfiler… mais le mal est fait… je ne me réchauffe pas et j’ai mal au ventre… envie de vomir… bref je ne suis pas en forme…
Je passe Yvoire dans un piteux état, mais ça sent l’écurie (comme on dit chez moi). Plus vite je serai arrivée, plus vite je pourrai aller manger me réchauffer et dormir ! Il n’en faut pas plus pour me remotiver ! Cette fois CUST2 vole… à croire qu’il lui a poussé des foils, nous avançons à 7 kts de moyenne avec des pointes à 7.5 kts voire 8 kts ! Le paradis est ici s’il existe !!!
Zig-Zag barré par Pierre Varin est à une centaine de mètres devant moi. Il est à ma portée… je m’accroche à l’idée que je peux encore le rejoindre, mais je n’y parviendrai pas.
De nuit il est très difficile de voir qui on rattrape et qui nous dépasse, mais je suis confiante. Je sais que je suis remontée au classement. Je décide de jeter mon téléphone au fond du bateau, on verra bien où j’en suis, je me concentre sur mes voiles et pas sur le suivi de couse.
Quelques instants plus tard je suis à la pointe à la bise aux prises avec un Luthi 870 et un ou 2 autres gros bateaux… c’est plutôt bons signe !
Je choisis la ligne droite pour aller jusqu’à la bouée d’arrivée (pas toujours le chemin le plus rapide) et quand le « bip » de fin retentit pour moi, c’est un hurlement de joie qui m’échappe !!!
Je l’ai fait !!! J’ai bouclé un tour de lac entier, en solitaire, je suis revenue des abysses du classement vers quelque chose d’honorable !!! Je vois quelques têtes connues qui viennent d’arriver elles aussi ! Je suis fière de moi !!! Call me « celle qui n’abandonne jamais » Baby ! ;-)
Je termine cette Syz translémanique en solitaire en 16 heures, 31 minutes, 09 secondes
Ceci me place à la 25ème place (105 au départ) au classement général
à la 14ème place (30 au départ) en catégorie Surprise
et 2ème femme (6 au départ) derrière l’ambassadrice Elodie Jane Mettraux
Je n’ai pas le temps de savourer cet instant qu’un zodiac m’aborde, 2 personnes montent à bord affalent ma GV m’amarrent dans une place et repartent aussi vite qu’ils sont arrivés… Merci les gars vous êtes d’une efficacité redoutable !
En discutant avec mes voisins de ponton j’apprends que l’autre bateau du CUST, CUST 4 barré par Laurent Alter est 2ème SU ça me fait plaisir pour lui… arrive ensuite Tahoe, pari gagné, je suis devant lui !
Nous avons bien mérité un repas chaud et après avoir rangé nos bateaux et rendu nos balises nous filons sous la cantine dévorer un plat de pâtes !!! Miam, Slurp !!!
Le lendemain le soleil est revenu pour la remise des prix !!! On se congratule, on rentre à la maison et on se dit : « Vivement l’année prochaine ! »