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Ma transat de A à A (Antilles-Açores)

C’était un bout de rêve, perdu dans un obscur recoin de mon cerveau… un petit truc pas bien défini ni bien ficelé… du genre qui te traverse l’esprit et puis s’en va. Une sorte d’idée folle qui, quand elle s’allume, tu te dis : « Baaah, non… c’est pas possible, c’est pas pour moi, c’est trop gros, c’est trop difficile, c’est trop dangereux, c’est juste trop… », et puis tu retournes à ta vie normale et à tes tracas du quotidien.


Je ne peux pas vraiment dire quand ce projet a germé mais il me semble que le visionnage d’une vidéo du départ de la Barcelona World Race pourrait avoir mis le feu aux poudres à l’époque où je commençais à régater… Et puis, il y a 3 ans, la graine s’est enracinée profondément en moi.


Comment ce bazar peut-il bien se passer ? comment s’y prendre ? par où commencer ? la réponse la plus évidente pour moi consistait en 2 injonctions : « apprends !» et « débrouille-toi !»,


J’ai donc appris (un tout petit peu) en passant la théorie du permis mer et en réalisant la quasi-totalité des miles au cours de stages et régates en Méditerranée et en Bretagne.


Et puis, au fil des rencontres, l’opportunité se présente, au détour d’une conversation… et là tu dis OUI, YES, JA, DA, BALE, OVA, CHAI, OO, EVET, ETC…


Un peu de logistique est nécessaire au préalable. Réserver tes vacances, gérer l’organisation familiale durant ton absence, te renseigner un peu quand même et accepter que tu vas réaliser un sacré rêve !

Un aller simple pour la Martinique, et hop ! Me voici fin février, sur le taxiway d’Orly, avec 30kg de bagages en soute prête à décoller pour aller chercher Flicka III - un JOD35 battant pavillon belge qui a pris part à la Transquadra - aux Antilles et le ramener jusqu’aux Açores.


Si je fixe le départ de cette transat au moment du décollage de mon avion ce n’est pas pour rien : Ici il neige, là-bas il fait 30 degrés… et puis pour rejoindre mon embarquement, l’œil rivé au hublot, à 30'000 pieds, je me rends compte que l’océan, c’est quand même super grand ! (en fait c’est grand comme 7h de vol)…


En fin de journée, nous amorçons notre descente tandis que se dessinent peu à peu les contours de notre destination. Le temps de sortir le train d’atterrissage qu’elle surgit, là au-dessous de nous, verte, vallonnée dentelée et tropicale : la Martinique. Comme pour nous en livrer quelques secrets avant l’heure, l’avion décrit une volte au-dessus d’un mouillage turquoise, puis apparaissent des toits rouge vif qui donnent encore de l’intensité à cet endroit que je chéris déjà.


Anne-Sophie qui a pris un vol 1h avant le mien m’attend à l’aéroport, nous embarquons dans un taxi en direction du Marin afin d’y retrouver notre skipper Alain, arrivé la veille par la mer. Gérard nous rejoint dans la soirée. Si nous connaissons tous Alain, c’est aussi le premier contact entre les autres membres de l’équipage. 1 ti’punch plus tard on se dit que ça va aller !


Pour la première nuit, nous avions réservé un Airbnb situé au-dessus de l’Anse Figuier… le trouver n’a pas été facile pour notre chauffeur qui a dû demander son chemin à plusieurs reprises avant de nous conduire à bon port.



Au réveil, le lendemain, je découvre la splendeur des Antilles depuis le balcon de notre charmante demeure, N’y tenant plus, nous allons nous baigner dans une eau limpide à 25 degrés, bordée de sable blanc et de cocotiers… Tout ceci n’est-il qu’un rêve et le réveil va sonner dans quelques minutes ? je me pince une ou 2 fois pour vérifier… non, c’est bien réel et c’est dans ma vie en ce moment… Lucky me !

C’est à ce moment précis qu’il faut se demander si tu veux vraiment la faire cette transat, ou si une quinzaine balnéaire ici ne se substituerait pas avantageusement…

--> Si tu veux rester en Martinique, l’histoire s’arrête ici ! (mais t’as le droit de te resservir de Ti’Punch)

--> Si tu veux traverser l’Atlantique, passe au chapitre suivant à (mais d’abord ressers-toi un Ti’Punch)

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Traverser l’Atlantique à bord d’un voilier, ça se mérite ! La remise en état du bateau (gros clean-up, changer 4 winchs, du rigging, des réparations de voiles, etc.) et l’avitaillement en nourriture eau et carburants divers nous prendra plusieurs jours.

Le bateau

Flicka III est une vieille dame issue de la lignée JOD35 (anciens bateaux du Tour de France à la Voile). Malgré son âge vénérable elle est encore vaillante, taillée pour la course et a toute notre confiance.

D’ailleurs, voici une petite visite de notre lieu de vie pour les 3000 prochains Miles.

La cabine

La chambre tribord (il y a la même à bâbord)

La cuisine

Le petit coin

Le cockpit

(poste de pilotage, bar, salle à manger, salon, annexe de la cuisine, salle de douche, terrasse etc…)

Franchement ce bateau c’est la classe internationale… et dire qu’il y en a qui payent pour des hôtels 4 étoiles grand luxe avec climatisation et service all inclusive alors qu’ils ne flottent même pas !

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Les préparatifs


Comme décrit plus haut, il s’est agi de faire du rigging, remplacement du dynema du pataras, du hale-bas de bôme et de la sous-barbe du bout dehors. Il fallait aussi remplacer 4 winchs qui avaient voyagé en avion avec Gérard, faire le plein de diesel et de méthanol (pour la pile à combustible) et avitailler.


Les winchs ont donné du fil à retordre à Alain, Gérard et Yohan (le pote local, qui nous a donné un sacré coup de main) car les vis des nouveaux n’étaient pas en face des trous des anciens… à rebouchage, renforcement de la zone, fabrications de plaques de renfort, perçage de nouveaux trous,…)


Trouver du méthanol pour alimenter notre pile à combustible et nous garantir de l’électricité pour les feux de signalisation et les instruments du bateau s’est révélé un véritable jeu de pistes. Il n’y avait qu’un seul fournisseur sur l’ile et il ne répondait pas aux appels et SMS de numéros étrangers de peur de se faire surtaxer… Il faut ensuite garder à l’esprit que dans les caraïbes les choses avancent comme elles avancent… mais jamais vite !


Il fallait ensuite acheter de quoi boire et manger durant notre périple, faire les courses : nous avions déjà commandé 90 repas lyophilisés (1 par jour et par personne) il fallait compléter par de la nourriture humide et de l’eau… Comment vous dire… bien souvent une image vaut plus que mille mots… il est temps pour moi de me taire et de vous laisser juger de ce que cette tâche si anodine chez nous prend comme proportions lorsqu’on prépare une transat !

400 litres d’eau / 90 repas lyophilisés / 30 emballages de pain toast / 20 emballages de gouda en tranches / Des conserves / De quoi faire des crêpes / Des snacks / Du saucisson de partout / Du jambon belge / Du fromage normand / Du chocolat suisse / Des rösti d’ici / Du rhum de là-bas / Et autres spécialités locales pour améliorer l’ordinaire / Etc…


Mais surtout env 30kg de fruits et légumes frais qu’Anne-Sophie a choisis au charmant marché du Marin, puis lavés au vinaigre et conditionnés pour une garde optimale (un boulot de titan)

S l’avitaillement s’arrêtait là tout irait bien dans le meilleur des mondes. Une fois ces provisions acheminées jusqu’au bateau, il faut :

  1. Déballer tout ce qui est dans du carton (les cafards pondent leurs œufs dans les emballages… on ne veut pas de colonie de cloportes à bord)

  2. Répartir les provisions par semaine de navigation (nous avons 3 caisses à portée de main pour stocker les vivres de la semaine en cours. Le reste est emballé puis rangé dans les fonds de cales et exhumés semaine après semaine)


L’ambiance sur les pontons de la Marina est bonne, les marins de la Transquadra attendent la remise des prix, Il fait beau et chaud, il faut marcher et travailler à l’ombre et pas trop vite si on veut tenir le choc du climat tropical, A la nuit tombée, les plus avisés se retrouvent à « l’Annexe » (c’est pas loin de ton ponton, on y mange bien et il y a des brumisateurs pour te rafraîchir)… Ne comptez pas sur moi pour vous raconter quelque anecdote croustillante : « ce qui s’est passé à l’Annexe reste à l’Annexe !»

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Le départ

Le 5 mars, nous sommes enfin prêts à larguer les amarres en fin d’après-midi… Les amis sont là : Yohann sur le ponton, la bande à François sur la plage du Club Med qui nous gratifie d’une hola de bras levés et d’encouragements vocaux !


Ça y est c’est parti ! … C’est le cœur chargé d’émotions que nous attaquons ce début de transat au moteur par la mer des Caraïbes afin d’éviter la houle atlantique.


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Croisière express de 36 heures aux Antilles

Nous longeons la Martinique, pour saluer le Diamant d’un rhum coca, pour voir Fort-de-France au couchant, nous atteignons la Dominique de nuit et la longeons jusque vers midi, nous faisons un crochet avec baignade par les Saintes (Si le paradis existe ici-bas, c’est à cet endroit) et atteignons Pointe-à-Pitre en Guadeloupe aux alentours de 21h. Nous y faisons une escale technique qui nous permet de refaire le plein de fuel car la météo s’annonce peu ventée et surtout nous devons monter au mât afin de réparer l’aérien mais le mât est tellement chaud de jour que c’est impossible.


Nous goutons également à notre premier plat lyophilisé… comment vous dire… je me dis en tentant d’avaler ce qui devrait être un ragout d’agneau des bouts de brocoli que cette transat va être interminable pour mon estomac…

Dernier coup d’œil à sa boite mail, derniers SMS, dernier appel à la famille.. C’est le ventre plein mais toujours sans vent que nous partons pour de vrai sur le coup d’1h du matin le 7 mars 2018.

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Passage à l’heure UTC – prises de quarts – et… remise des pendules à l’heure

Après avoir longé la Désirade au moteur, nous attaquons l’Atlantique et pouvons directement envoyer les voiles. Premiers vrais bords à bord de Flicka 3 dans 15kts et 2m de houle, nous sommes au prés serré c’est plutôt agréable, le bateau est content et nous aussi. Dès le dernier bout de terre disparu derrière l’horizon, nous mettons nos montres à l’heure UT-0 (En Suisse, à l’heure d’hiver nous sommes à UT+1, dans les Caraïbes à UT-4) ça donne un coup de jet-lag à l’équipage, Il ne fait plus nuit à 18h mais à 22h et le jour se lève vers 9h du mat. C’est ainsi qu’on fait en mer paraît-il. Comme je n’ai pas emporté de montre, je me mets vite à l’heure solaire : quand il fait nuit je me mets à bailler, quand j’ai faim il est vers 13h, quand il fait beaucoup trop chaud, il est temps d’aller faire une sieste, et quand il commence à faire frais à nouveau il est l’heure de l’apéro… vite avant la nuit.


Nous organisons les quarts de nuit de la manière suivante : 2h de veille active, 2 heures de veille relax et 2 de sommeil. Anne-Sophie, Gérard et moi nous y astreignons tandis qu’Alain notre capitaine est hors quarts, mais mobilisable à toute heure du jour et de la nuit.


Il nous faudra quelques jours pour prendre ce rythme, s’habituer à ne voir que des vagues, des nuages, des sargasses et des poissons volants. Après quelques heures de ce rythme à peine, je suis prise d’une vague de mélancolie, je suis à fleur de peau (je sens qu’à tout moment un mot, une pensée peut faire déborder le vase. Mon fils me manque, mes proches me manquent, mes amis me manquent et 3 ans de dossiers émotionnels pas classés ressurgissent comme ça, sans prévenir… j’ai la gorge serrée et du mal à manger. Dès que je pense à autre chose qu’au bateau, je sens mes larmes monter… Alors j’essaye de prendre ces émotions les unes après les autres et de trier un peu tout ça… Digérer ce qui peut l’être et abandonner le reste aux abîmes de l’Atlantique.




Je cherche du papier à bord. Ecrire, j’ai envie d’écrire tout et n’importe quoi… Mais j’ai laissé mon bloc note au Marin alors je remplis frénétiquement le livre de bord, notant tout micro-événement et fixant tout ce qui peut l’être dans ma mémoire… Je ne veux rien oublier. J’écris enfin un premier mail à mes proches, mon fils me donne de ses nouvelles… Je vais mieux !


C’est ici que l’aventure commence !

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La grande traversée

…Ca y est, nous sommes en haute mer. Voir disparaître les côtes derrière soi et savoir que nous ne reverrons pas la terre avant 2 grosses semaines a quelque chose d’excitant (c’est LA raison pour laquelle je me suis lancée dans cette aventure) mais également un aspect terriblement angoissant.


Désormais nous sommes seul·e·s au monde ou presque. La terre la plus proche est celle que nous avons sous la quille par 3000 mètres de fond (on évite d’y penser…). Il va désormais ne falloir compter que sur notre propre autonomie en eau, en nourriture et en carburant. Je sais que les deux premières ressources ne manquent pas à bord. Nous avons prévu large. Je suis un peu moins confiante concernant la troisième car les conditions météorologiques s’annoncent molles… très molles… très très très molles !


Un gros anticyclone fait barrage sur toute la largeur de l’atlantique. J’apprends au passage que ce genre de phénomène météo se contourne toujours dans le sens des aiguilles d’une montre afin de ne pas se retrouver avec du vent « dans le nez » ce qui rendrait la navigation extrêmement inconfortable et rallongerait considérablement notre route.


Nous tablons sur l’hypothèse que si cet anticyclone doit glisser quelque part, ça sera vers le sud et/ou l’est. Et c’est bien connu, en voilier, la route la plus directe n’est pas toujours la plus rapide. Le capitaine, l’app de routage sont d’accord : nous pointons au nord tant que le vent est faible, et nous ferons de l’est lorsque les airs arriveront.


Cette stratégie présente un avantage : Nous avons du vent de travers à 10-15kts durant les premiers jours et une houle de 2m environ. Ceci nous permet de nous amariner progressivement. 1 ou 2 grains nous passent à côté mais n’amènent pas de grosses rafales. Au contraire… nous nous retrouvons 2 ou 3 fois dans la pétole avec quelques petites ondées. « petite pluie abat grand vent » ce dicton ne vaut pas que

sur le Léman on dirait.


Par ailleurs, il fait chaud la journée… Trop chaud… nos tentons de nous protéger des rayons du soleil à grand renforts de crème solaire, lunettes, et chapeau. mais il arrive que quelques parties de notre corps échappe à notre vigilance comme le démontre la photo ci-contre :

Progressivement les conditions forcissent un tout petit peu. 20kts établis et la houle grossit un peu. Nous sommes toujours au reaching et le vent finit par s’établir à 25kts avec une houle de 3 à 4m. Le plus difficile sera de continuer à faire du nord dans ces conditions. Nous monterons jusqu’aux Bermudes avant de commencer à pointer à l’est.



La météo, sous ces latitudes, est moins chaude et plus instable. Des nuages viennent de jour comme de nuit ponctuer notre ciel. Donnant lieu à des nuits sans étoiles terrifiantes ou des moments d’ombre bienvenus durant la journée. L’eau de l’océan est passée de 23 à 17 degrés. C’est frais pour se doucher… mais quand ça vous gratte de partout, un seau d’eau bien froide sur la tête avec un peu de savon, ça vous change la vie !


Le temps à bord prend vite une dimension élastique… de longues heures perdue dans mes pensées s’écoulent à vitesse grand V alors qu’une tâche pourtant super courte et passionnante semble durer des heures… de toute manière peu importe le cours du temps… nous n’en arriverons pas plus vite de l’autre côté.


Nous n’avons que 4 tâches essentielles à bord :

  1. faire avancer le bateau… ceci signifie régler les voiles toutes les 2 heures, 1 changement de voiles tous les 2 jours… barrer par moments mais que les pilotes automatiques, de nos jours, s’en sortent souvent mieux que nous.

  2. Veiller à notre subsistance… manger des fruits, des snacks, des bons petits plats concoctés par Anne-Sophie, des lyophilisés… chacun selon ses gouts…

  3. Veiller à notre sécurité… ça c’est le gros dossier du bord. Apprendre à se déplacer sur le pont dans la houle, s’attacher à l’aide de sa longe à chaque sortie du cockpit et de nuit. Refermer le couteau suisse dès qu’on a fini de couper sa tranche de pain quitte à le rouvrir 2 minutes plus tard. Ne pas se bruler en maniant l’eau chaude. Chaque objet de notre quotidien peut se transformer en arme redoutable sans prévenir. Et lorsqu’on se trouve à quelques centaines de miles de la côte la plus proche, on n’a pas le droit de se blesser ne de tomber à l’eau.

  4. Dormir… par tranches de 2 heures la nuit, une grosse sieste la journée… le rythme est contre nature mais on s’y adapte – certains jours mieux que d’autres…

Mais malgré cela – chaque tâche si simple soit-elle pouvant prendre un temps considérable – les journées passent vite, ponctuées par des rendez-vous quotidiens l’apéro et le repas du soir que nous prenons ensemble avant d’attaquer les quarts de nuit et le lever du jour, qui signe de fin des heures difficiles durant lesquelles nous bougeons peu (attachés à nos longes que nous sommes)

Se faire un café : 15 minutes se faire un sandwich : 20-30 minutes se doucher : 1 heure

Mettre des habits propres (sans ciré) : 15-20 minutes faire la vaisselle (4 tasses, 4 bols 4 cuillères) : 30 minutes

… et plus les jours passent, plus la fatigue gagne, plus ces tâches toutes bêtes prennent du temps…

Ce récit se poursuivra par des extraits de mon journal de bord :

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10 mars 2018

…Voici près d'une semaine que nous avons pris la mer.


L'organisation de la vie à bord a occupé la plupart de notre énergie qui n'est pas consacrée à faire avancer le bateau.


Flicka III est un bateau de course ne disposant d'aucun autre confort qu'une gazinière, une table à cartes et un WC marin situé dans la plage avant.


Les seuls luxes dont nous disposons sont un container de 70 litres d'eau-douche pour l'hygiène et de fruits et légumes frais que nous avons achetés au marché du Marin et qui supportent le voyage admirablement bien jusqu'ici.


Il n'y a pas grand monde dans ce coin de l'océan. Nous avons croisé 2 cargos, 3 oiseaux et notre compagnon de route le voilier Propaganda qui croise à une centaine de miles plus à l'est.

Il y a 2 nuits un petit oiseau de la taille d'un merle s'est invité à bord. Il s'est posé á 20 cm d'Anne-Sophie qui était de quart à ce moment là. Visiblement épuisé il est resté avec nous durant 8 heures, dormant du sommeil du juste et ignorant les miettes de pain que nous lui tendions. Il est reparti au petit martin vers d'autres horizons.

Les nuits : la première fut effrayante. Noir profond. Nous ne distinguions pas la limite de l'horizon. Une nuit à filer des angoisses à un amateur de films d'épouvante. Heureusement les nuits suivantes ont débuté par une vue sur les étoiles puis un lever de lune du meilleur effet.

Les quarts se font à 3 et de manière tournante : 2h de barre, 2h de stand-by et 2 heures de sommeil. Notre capitaine Alain est lui en stand-by permanent prêt à agir si nécessaire.

Je vous parlais de nos luxes : l'eau pour se laver (on se savonne à l'eau salée et on se rince avec 1 ou 2 litres d'eau douce) ou alors la douche se fait à la lingette.

Notre équipière Anne Sophie dépense une énergie surréaliste pour nous préparer des salades, des sandwiches, des omelettes et même des crêpes. Croyez-moi ceci est tout sauf simple. Ce bateau est prévu pour faire chauffer de l'eau et la verser dans des sachets de lyophilisé. Nous sommes admiratifs devant un tel acharnement à nous améliorer un ordinaire plutôt spartiate.

Alors pourquoi traverser l'océan dans ces conditions me demanderez-vous ? Un début de réponse chargée d'émotions me ferait dire que notre route individuelle avant de se dessiner sur une carte du monde doit trouver son chemin à l'intérieur. Des émotions trop longtemps bloquées par l'anticyclone des convenances et du quotidien sont en train de trouver la sortie; ça fait du bien ou pas, je l'ignore encore ... mais c'était nécessaire.


Valérie par 23’40.150N / 57’25.802W

Autre événement marquant de ces derniers jours : Anne-Sophie s’essaye au terrorisme en faisant exploser une bombe artisanale composée de boisson énergétique lyophilisée oubliée à côté du bloc moteur… ça chauffe, ça fermente et ça explose… heureusement cette tentative de sabotage ne fera d’autre blessés que l’égo de son auteure et la déco du bateau… il y en avait du sol au plafond de la poupe à la proue voyez plutôt le résultat :


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13 mars 2018

1000 miles…Nous avons parcouru 1000 miles nautiques en 7 jours. Nous tentons de nous extirper de ce fichu anticyclone qui nous a avalés depuis notre départ. 1000 miles c’est 1/3 de notre route, c’est 1000 bornes, le jeu qui occupait notre temps lors des longs trajets en voiture durant notre enfance. 1000 miles c’est mon permis mer validé, c’est en d’autres circonstances une qualification obligatoire pour pouvoir prendre le départ de courses transatlantiques...c'est un cap symbolique qui est supposé faire de toi un marin... je suis peut-être perfectionniste mais il m’en faudra autant de plus voire encore une ou 2 paires supplémentaires pour commencer à envisager l’océan sereinement.


Le climat change lentement et la chaleur des journées devient plus supportable. Nous voyons passer des grains au loin, la nuit, mais seulement 2 d’entre eux nous ont caressé les voiles. Le premier nous a apporté 2 heures de vent à environ 20 kts et le second de l’eau... Une belle rincée comme on dit.


Si nos nuits jusqu’ici, nous ont apporté un spectacle onirique fait de constellations planètes étoiles filantes et autres corps célestes, la nuit d’hier a été différente : le ciel était sombre et les étoiles scintillaient dans notre sillage sous la forme de plancton luminescent... une merveille, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer et montrer ce spectacle à chaque enfant de ce monde.


Plein d’amour d’embruns et de bisous


Valérie par 27’16.152N/ 55’11.475W

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14 mars 2018

…Voici 30 heures que nous avons repris les tractations avec Éole.


Nous avons trouvé des airs et avons filé à 8 kts et plus ces 12 dernières heures.


Sur l’abécédaire du marin je voulais vous parler de la lettre P et en particulier de 2 de ses objets :


- P comme poisson volant : espèce de sardine équipée d’ailes et doté de l’intelligence d’une palourde. Le flying fish passe ses journées à picorer de la sargasse et ses nuits à narguer l’étrave de notre voilier. Pas très adroit, il se rate régulièrement et atterrit dans ton cockpit ou sur tes genoux.


S’il a de la chance tu pourras le remettre à l’eau vivant, mais dans la plupart des cas, il part s’éteindre dans un recoin inaccessible qui te fait démonter le bateau, parce que le poisson volant, ça pue la marée basse ou le stand de poissons dans le village d’Astérix.



- P comme plat lyophilisé : le repas de tout coureur au large, le bolino façon transat, tu trouves toutes les saveurs de la pasta bolo à la tartiflette en passant par la brandade, le couscous ou le nasi goreng. Point commun, c’est toujours douteux, ça ressemble à du gloubiboulga et c’est pas bon…


Sur ces considérations je vais prendre mon quart de nuit et je vous embrasse


Valérie par 29’12.465N/51’47.893W

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15 mars 2018


…Hier nous avons passé notre équateur ! Nous avons franchi la barre symbolique du mi-parcours et la suite de notre progression devrait être rapide (8kts de moyenne) . Notre arrivée estimée d’après les derniers routages, devrait être le 22 mars. On croise les doigts !


Poursuivons l’abécédaire du marin avec la lettre C :


C comme cargo : Dans cet univers confiné (le bateau) et si vaste (l’océan) à la fois, les sources de distraction sont rares. Même s'ils sont tous différents et souvent sublimes, un nuage reste un nuage et une vague, une vague.


Alors lorsqu’un oiseau ou un cargo entre dans notre champ de vision c’est un peu comme si c’était l’heure de notre série TV préférée !


Le cargo a ceci d’excitant qu’il ne faut pas se le prendre dans les dents. Estimer sa route, qui est-il, d’où vient-il, où va-t-il ? Sommes-nous en route de collision ? sont autant de questions qui occupent notre temps et notre esprit durant de longues minutes.


Aidés de la technologie moderne nous le voyons sur notre écran et savons quand il sera au plus près, à quelle distance etc...


Alors imaginez, il y a 2 nuits, nous avons croisé 2 navires en l’espace de 3 heures... on se serait crus au centre-ville, un samedi de soldes.


Autre lettre le D :

D comme dahu des mers : Nous vivons un peu comme le dahu des alpes depuis une semaine... gités et toujours sur le même bord. A l’instar de l’animal légendaire alpin nous avons évolué pour nous adapter au mieux à notre cadre de vie... nous avons été soulagés d’apprendre que l'empannage que nous annonçait le routage n’a plus lieu d’être... nous craignions les embardées et roulades incontrôlables qu’aurait pu engendrer un changement aussi brutal de notre habitat (ben ouais, les dinosaures se sont éteints pour moins que ça !)


Valérie, tribord amures, 31’39.185N/46’19.107W

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18 mars 2018

Mes chers,


Le temps des vacances est révolu. Depuis 36 heures nous avons évolué dans du 7 Beaufort


Ce qui m'amène à évoquer la lettre V de mon abécédaire...


V comme vrac (ou départ au lof, partir au tas) : dans le bateau on assure tout pour que rien ne bouge. Tout ce qui ne l'est pas est susceptible de s'envoler... et accessoirement d'atterrir dans ta tronche... alors tu fais gaffe...


V comme vagues : env. 6 mètres, de l'écume qui vole de leur crête. Les conditions sont impressionnantes je dois dire que j'ai un peu peur... Je suis dans l'inconnu... Notre skipper a connu bien pire et reste super zen... ça me rassure.


Nous avançons à 9 Kts en moyenne, 2 ris dans la GV, JT à l'avant et nous venons de taper un surf à 14.37kts... brrr


Ces conditions devraient encore durer 12 heures... en attendant je me dis que plus vite on avance, plus vite on arrivera à Ponta Delgada.


Valérie dans la tempête par 34'20.773N/39'04.837W

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20 mars 2018

Mes chers,


Les conditions se sont légèrement calmées depuis mon dernier message et la vie a repris son cours. Chacun vaque a ses occupations pendant que le bateau sèche. Nous avançons à 7-8 kts sous code 5, 1 ris dans la GV avec 20 kts de vent.


Ce gap de vitesse me laisse quelques neurones de dispo pour passer aux maths et vous soumettre mon équation du jour : D+D=B... (Si vous donnez votre langue au chat, la voici dans le texte)

D = Dauphin

D = Douche

B = Bonheur

D comme dauphins : qui nous ont fait l’amitié d’une petite visite au cours des dernières 24 heures


Les dauphins de l’Atlantique sont gris foncé - brun et leurs flancs sont beige. Ils ont nagé en bande de 10 15 devant notre étrave de longues minutes.


Je ne sais pas s’ils comprenaient l’invitation que nous leur faisions lorsqu’on tapotait la coque avec nos mains mais nous les voyions nous observer et reprendre de plus belle ! Leur nage est fantastique de fluidité ! Alors que tout objet immergé provoque de l’écume dans son sillage, les dauphins évoluent en toute limpidité. Ce spectacle est un booster de moral et d’énergie.


D comme douche : ... croyez-le ou non (je vous garantis que cette douche ne sortait pas d’un de mes rêves), la mienne était faite d’eau douce et chaude. Trop chaude... J’avais chauffé quelques litres d’eau avant de les mettre dans le pulvérisateur qui nous sert de douche... j’ai failli finir ébouillantée :-)


B comme bonheur : Requinquée, malgré la fatigue je retrouve gout à la vie… Me voici repartie du bon pied pour les derniers jour de mer !


C’est sur cette note positive et sous le retour du soleil bienvenu car les températures ont considérablement baissé (les nuits se passent en ciré bottes et bonnet que je vous envoie de gros bisous.


Valérie par 36’23.643N/ 33’02.756W

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21 mars 2018



…Terre... Terre en vue !!! ... Ou presque...


Dans la pénombre de la nuit, nous apercevons un faible halo lumineux provenant de Horta. La faute à une visibilité limitée, nous n’avons pas encore vu la terre ferme.


Même si nous attendons ce moment avec impatience, nous le redoutons un peu aussi. Après tant de jours passés en haute mer, nous savons qu’accoster sonnera aussi le glas de ce voyage et le retour à nos obligations et vies d’avant...


Ces 3 semaines d’océan auront-elles été juste une parenthèse dans nos existences ou l’amorce de changements sensibles. Il nous faudra probablement quelques semaines pour y répondre... faudra peut-être même y retourner pour voir !


Ce qui est sûr c’est que j’ai hâte de vous revoir et de vous raconter cette folle épopée.


Valérie par 37’41.589N/28’34.041W


Nous accostons à Ponta-Delgada sur l’ile de Sao Miguel le 12 mars à 23 heures !

À peine amarrés, nous sautons à terre, marchons sur le ponton de manière chancelante (le mal de terre n’est pas un mythe), manquons de tomber à l’eau une ou 2 fois et buvons une bonne bière sur une terrasse du port ! Notre premier repas à terre sera une orgie de burgers & frites dans le Burger King local.


À la fois euphoriques d’avoir bouclé ce gros bazar : 2675 Miles Nautiques (C’est pas rien) … et déjà nostalgiques de cette traversée, expérience de vie et d’une vie… aventure humaine, sportive et nautique. Grande aventure…


NOUS AVONS TRAVERSE L’OCEAN ATLANTIQUE… ON L’A FAITE CETTE TRANSAT !!!


Merci Anne-Sophie, Gérard et Alain. Merci Flicka III Merci pour tous ces moments partagés à regarder les étoiles, à choper un fou rire quand un des belges faisait le clown, à apprendre, à guetter un hypothétique « rayon vert » au coucher du soleil, à traquer la lune noire pour prouver à Gégé qu’elle existe, à voir des cargos qui n’existaient pas et risquer de se faire percuter par le seul qu’on avait pas vu, à essayer de compter en heure martiniquaise ou açoréenne, à essayer de pêcher autre chose que des Sargasses, à ne pas être d’accord, à parler de nos vies à terre, à avoir la trouille, à tenter de récupérer un poisson volant échoué quelque part entre le radeau de survie et le pont, à manœuvrer, à regarder Anne-Sophie essayer de se faire un shampoing sec à la Maïzena, à pleurer de dépit en ne parvenant plus à sécher mes pieds durant de longs jours, à prendre des embruns et des vagues en pleine face, à boire son 12ème café de la nuit pour tenir éveillé, à apprendre le Beshmer d’après le livre de M. Deniau, à boire un rhum à l’apéro et manger des plats lyophilisés dégueu avec vous, à s’émerveiller devant les dauphins et même les baleines qui nous ont fait l’amitié d’un saut au loin le dernier jour, etc. Merci pour tous ces souvenirs encore intacts et vivants qui, je l’espère, le resteront encore longtemps. Merci Yohann pour ta chaleur, ton accueil et ton aide au Marin, Merci les frères Lemercier pour la douche et votre gentillesse, Merci à celles et ceux qui ont rendu ceci possible… Merci la vie !


Malheureusement, déjà à la bourre sur mon planning, je repars le lendemain matin pour la Suisse découvrant les Açores par les airs.


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Voici encore pêle-mêle quelques images de ce voyage extraordinaire !









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